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Article tiré du journal Le Bâtisseur, hiver 2010, n°82, p.9-11
Par Maurice Larouche, avec la collaboration de Laurier Renaud
À la fin de la guerre 1939-1945, les Québécois entrent dans la modernité qui, entre autres, se caractérisa par des bouleversements religieux, culturels et sociaux. Accros des gadgets électroniques, les nouvelles générations se demande sans doute comment se vivait le temps des Fêtes avant l’arrivée de l’électricité, du téléphone, de la télévision… Alors, la question qui tue : comment être heureux avec une Foi chrétienne qui rythme les travaux et les jours et éclaire même la conduite de la vie?
Au départ, il importe de mentionner que le temps des Fêtes trouve son apogée le 25 décembre, une journée attendue et vécue avec intensité. À la fin novembre, à l’occasion du cantique Venez Divin Messie chanté avec pompe le premier dimanche de l’Avent, soit quatre semaines avant Noël, débute le branle-bas des préparatifs. S’ensuit alors une course contre la montre. N’oublions pas que c’est l’époque où la consommation est réduite au minimum; modestement, les familles doivent s’autosuffire en nourriture, en vêtements, en transport, etc.
Les boucheries se font dans les grands froids de décembre : bœuf, porc, poulets, oies et brebis sont abattus, apprêtés et congelés. Comme le réfrigérateur et le congélateur sont encore des inventions inconnues chez nous, le froid extérieur est le moyen de conservation des aliments qui sont remisés dans une « dépense » ou un garde-manger à l'extérieur de la maison. S'il y a un redoux prolongé, la viande est parfois enfouie dans le « carré d'avoine » du hangar.
Les boucheries des Fêtes, quel travail délicat! « Pour que la viande ne soit pas contaminée, il faut surtout éviter de percer l'intestin du cochon », avertit pépère Charles Claveau. « Ne vous inquiétez pas, je ferai très attention », répond Antoine. « Mon couteau est bien aiguisé et l’animal palanté à la peau bien tendue. » Rose s'insurge, à l’affût des odeurs suspectes : « Maman, les mains de Maurice et d’Omer sentent le poulet! » De grand matin, avant le départ pour l’école rurale, ils ont aidé Antoine et Fernand à tuer la cinquantaine de poulets engraissés à la moulée d’orge. Ont-ils oublié de se laver les mains deux fois plutôt qu’une?
Dans la cuisine, s’activent Emma et les deux plus vieilles de ses filles. Oies, coqs, pâtés à la viande, boudin, ragoûts, beignets et gâteaux dégagent des arômes propres à exciter les papilles.
Pour le boudin, Emma vide l’intestin grêle du porc à l’aide de deux broches à tricoter qui, retenues comme appui au dossier d'une chaise droite, servent d’étau. Une fois la tripe retournée et lavée, Emma y verse le sang salé et épicé. Le long boyau cuit ensuite dans une marmite d'eau chaude. Que de précautions quand elle y dépose le rouge serpentin!
Le chien Miro s’active sur la galerie tandis qu’à l’intérieur, la chatte Minette frôle les jambes de Rose, sa maîtresse, pour mieux se faire enjôleuse. Toute cette bouffe est remisée dans la « dépense » sur la galerie, à l’abri des animaux et des odeurs éventuels. L’impatience grandira jusqu’aux jours bénis. « Le garde-manger est plein et on n'a rien à manger », affirme du haut de ses cinq ans Roch, l'aîné des neveux, venu quelques jours avant Noël. Lui aussi doit comprendre l'importance des petits sacrifices préparatoires à la Fête.
Vers 1940, chez les Larouche, le Père Noël n'existe que dans les catalogues Eaton's, Simpson's et Dupuis Frères. Selon les us et coutumes de l'époque, depuis toujours, le Petit Jésus apporte aux enfants, supposément obéissants et sages, les cadeaux qui seront offerts le jour de l'An. Ainsi, la fête de Noël est essentiellement religieuse, centrée surtout sur la Messe de Minuit. Mais Noël n'en demeure pas moins une fête familiale, dans le cadre d'un sapin décoré, agrémentée de repas copieux et de la visite de la parenté.
La veille de Noel, pour faciliter la venue du Petit Jesus, les enfants se couchent plus tôt. De son côté, depuis quelques jours, Emma emballe les cadeaux. Il s'agit de choses utiles dont le besoin se fait souvent pressant. Au deuxième étage, le sommeil des enfants tarde a venir; le bruissement des papiers et des cartons, le maniement des friandises dans la bonbonnière, de même que le va-et-vient dans la maison, surtout dans la cuisine, en font rêver plus d'un.
Comme Fernand buche aux chantiers forestiers de la St-Raymond Paper, il est convenu qu'Antoine, Noëlla, Rose, Pierrette, Maurice et Omer vont à la Messe de Minuit. Vers 9 heures, c'est le départ. Il fait très froid. La neige crisse sous les patins du « cotter ». Nerveux, le mini-trotteur Ti- Coq dresse les oreilles, à l'écoute du sifflement strident des « gros chars » d'Alma, à quelques milles de chez nous. Au loin, le gros engin crache suie et vapeur, ce qui effraie l'animal comme s'il s'agissait d'un quelconque loup-garou. Une lune blafarde éclaire la route. Seul le tintement des grelots indique l'inhabituelle animation sur la route.
Au village, Ti-Coq est placé dans son aire louée à l’année chez monsieur Arthur Renaud, pendant que chacun vaquera à ses occupations. Certains se confesseront ; d’autres se recueilleront pieusement; certains iront à la salle paroissiale; d’autres se retrouveront au magasin général de Roland Simard ou à celui de Simon Simard. Quelques-uns s’arrêteront aux petits cafés chez C.-E. Gagné ou chez madame Émérilda (Charley Simard). La veille de Noël, c’est presque la cohue sur la rue principale non éclairée. Il faut surtout prendre garde aux nombreux chevaux.
À minuit, les paroissiens entrent dans l’église dont les calorifères pètent et cognent sous l’effet de la vapeur dans les tuyaux. C’est qu’en hiver, par souci d’économie, seule la sacristie est chauffée. Chanté par Edmour Savard, un baryton remarquable, le cantique Minuit Chrétien marque le début de la cérémonie. Antoine, Noëlla, Rose et Pierrette prennent place dans le banc payé à l’année, tandis que Maurice et Omer étrennent dans le chœur leur surplis qu’Emma a empesé et plié en accordéon, de même que le semblant de soutane, espèce de jupe noire attachée à la ceinture. « Maurice et Omer seront enfants de chœur, a décidé Emma. Ainsi, notre banc familial, pour quatre grandes personnes, sera moins congestionné. »
L’église est pleine à craquer. Le bedeau Ti-Mile (Émile Tremblay) doit même ajouter des chaises dans les allées. Les ornements dorés du célébrant, les petits drapeaux blanc et jaune aux couleurs du Vatican ainsi que les banderoles des grandes circonstances ornent le chœur. Le bedeau et sa femme Bernadette se sont surpassés dans la fabrication d’une crèche aux personnages presque grandeur nature, à même un décor de sapins naturels qui embaument l’atmosphère. Tout cela sans oublier ce curieux chameau, animal mythique, qui intrigue bien des enfants.
Après le Minuit Chrétien, monsieur le Curé, officiant pour la circonstance, conduit une procession jusqu’à la crèche, alors que l’Enfant Jésus est porté par une enfant de la paroisse. Le vicaire Augustin Verreau fait une courte homélie sur la signification de la fête; il procède d’une manière simple comme pour la catéchèse mensuelle aux enfants de la paroisse, le premier vendredi du mois : « Pour notre rachat, Dieu nous a envoyé un enfant, un tout petit en chair et en os, babillant et pleurant sur les genoux de maman Marie. Ce petit enfant, appelé Jésus, sera une Parole vivante, une Parole qui est chemin, vérité et vie, la seule Parole capable de révéler convenablement aux humains leur dignité d’enfants de Dieu. Par le Christ Jésus, l’Amour se rend accessible à nous tous, l’Amour d’un Dieu de tendresse et de miséricorde qui, dès sa naissance, a pourtant besoin de Joseph et de Marie. »
En cette nuit mystérieuse de Noël, grâce à la communion eucharistique, les paroissiens et les paroissiennes reçoivent leur Sauveur avec ferveur. C’est si important en ces temps difficiles où le Québec ne s’est pas encore relevé de la crise de 1930. Tous ont tant de faveurs à demander. Sans compter que l’hiver amène toujours un ralentissement économique; le travail se fait si rare! Il n’y en a que dans les chantiers forestiers où seuls s’échinent les bras jeunes et robustes.
Il y a bien quelques fêtards reconnaissables à leurs « maugréements » et à leur démarche mal assurée quand ils circulent dans les allées. Mais personne ne s’en formalise. En cette nuit d’Amour et de Paix, les débordements sont comme excusés. Le placier Philippe Tremblay n’a même pas à intervenir.
À une heure, une deuxième messe basse de vingt minutes débute. Elle sera suivie d’une troisième appelée Messe de l’Aurore. En effet, à Noël, les prêtres peuvent célébrer trois messes : les deux dernières sont animées à même des cantiques de Noël chantés par la chorale formée de voix féminines mises à l’écart les dimanches ordinaires. Quelle joie d’entendre des voix si mélodieuses! Les fidèles qui viennent du bout des rangs, à plus de six milles, quittent après la première messe. « Cependant, comme nous ne demeurons qu’à deux milles et demi, nous assisterons aux trois messes », propose Antoine.
Le clou de la cérémonie est sans doute le cantique Il est né le divin Enfant, chanté par trois jeunes et repris en chœur par la chorale maintenant mixte. Actionné fortement par des bras vigoureux, le vieil harmonium se surpasse en intensité. La bonne acoustique de l’église ne laisse manifestement pas à désirer. On dirait des accents du paradis!
À la sortie, un froid sec alimenté par le vent du nord fouette les corps engourdis par l’obscurité et par le sommeil pressant. Ti- Coq a hâte de retourner à la chaleur de l’étable. Mais comme beaucoup de voitures se suivent et qu’il fait si sombre, les dépassements sont particulièrement risqués, donc à surveiller.
Emma a préparé une table garnie de beignets, de bonbons français et de chocolat. L’arôme du vrai café remplit la maison : quelle différence d’avec le semblant de café habituel fait de croûtes de pain! Et comment résister à une tranche de « pain d’habitant » grillée sur des charbons ardents? Comme la chaleur du foyer est appréciée!
« Pendant la nuit, raconte Emma, en raison de la surchauffe du poêle alimentée par le vent, la cheminée a flambé au point où une traînée de feu éclairait la fenêtre de la cuisine. Comme pour donner plus de signification à la nuit mystérieuse de Noël, continue Emma, même la cheminée qui ronflait fortement s’est calmée sous l’effet conjugué du rameau béni et de la prière. Les enfants ne se sont pas réveillés. »
Le matin, Antoine, Emma, Aurélie et Jean vont à la messe de Noël. Au retour, quelle agréable surprise pour les enfants d'apercevoir la table montée par Noëlla, Pierrette et Rose, là où trône, sur la grande nappe brodée, l'oie de Noël décorée aux pattes de rubans rouges. Le repas de Noel, celui du midi, est particulièrement empreint d'un esprit familial. La joie rayonne. L'oie est tellement bien apprêtée! Garni de crème fraîche et de confiture de framboises, le gâteau est plus qu'apprécié. La conversation porte sur un rappel des chants, de la crèche, de la mode, de la période des Fêtes qui débute et qui comportera de nombreuses rencontres familiales.